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46 - Les 2 soeurs

mercredi 8 avril 2020, par Albert

Il arrive souvent que Didier Moreau, l’écrivain à mi-temps, manque d’inspiration et peut-être aussi de courage pour écrire.
Aujourd’hui, c’est le cas et pour l’aider, il a placé sur son bureau une feuille de papier A4 sur laquelle est imprimé la reproduction d’un tableau de peinture.
Il s’agit d’une huile sur toile intitulé "Les sœurs", c’est Mary Cassatt qui l’a peint. Il y a du vert en fond puis les sœurs habillées en blanc. Celle qui semble l’aînée a passé son bras sur l’épaule de sa sœur. Elles regardent toutes les deux dans la même direction.
Donc, il va écrire une histoire qu’il appellera "Les 2 sœurs".
Didier a vu un peu la biographie de l’artiste peintre. C’est une américaine qui a vécu et peint en France. Elle ne s’est jamais mariée et n’a pas eu d’enfants. Ceux qu’elle a peints sont ses seuls enfants.
Et tout d’un coup, brusquement, Didier pense à Jeanne et à ses fleurs.
Mais, est-ce le cerveau de Didier qui l’a amené vers sa compagne Jeanne ou bien ses yeux dont l’attention a été attirée par une présence devant la porte de verre de son bureau ?
Comment le savoir ?
Toujours est-il qu’il y a bien deux femmes devant la porte qui s’apprêtent à entrer chez lui. C’est Jeanne et une autre femme. L’observent-elles depuis longtemps ?
L’autre personne a une magnifique chevelure rousse toute frisée, on dirait le soleil qui débarque sur terre, elle fait le geste de toquer à la porte de verre pour demander à entrer mais déjà, Jeanne a posé sa main sur la poignée de la porte, la tourne, pousse la porte et entre.
Elle fait un petit bonjour de loin à Didier et invite la femme aux cheveux roux à entrer.
Une fois la porte close, Jeanne se précipite vers Didier, s’accroche à son bras et se retournant, elle fait les présentations :
 Je te présente Didier mon compagnon, mon ami, mon voisin.
Et à Didier, s’approchant de lui comme pour lui dire un secret, elle dit :
 Ma sœur, Vamka.
Didier est vraiment étonné car il était loin de s’attendre à une telle surprise :
 Je suis heureux de vous connaître. Jeanne ne m’avait jamais encore parlé de vous. Mais vous avez quand même un petit air de famille malgré vos cheveux.
Vamka, je n’ai jamais vu Jeanne aussi heureuse.
Didier fait asseoir les deux femmes sur le canapé jaune et il s’assied sur une chaise en paille devant elles.
 Alors maintenant, il faut tout me raconter.
C’est Jeanne qui veut commencer :
 Lorsque je suis née notre père était employé comme forestier dans une forêt qui était tout près de notre maison.
Vamka était née dix ans avant moi. Elle avait découvert un arbre qui était en bordure de la forêt. Il était seul, tous les autres étaient différents. Mais il était grand, il était beau et il a beaucoup impressionné Vamka.
Trois ans plus tard, notre père fut choisi pour aller gérer l’Arboraie des Ayres. Je crois bien que je t’en avais parlé.
Mais lorsqu’il fut question de partir, Vamka a refusé, elle voulait rester près de l’arbre. Nos parents, malgré eux et après avoir hésité longtemps, ont accepté et l’ont laissée à la garde de la famille Chelvert.
Vamka intervint alors :
 Laisse-moi un peu expliquer, Jeanne.
Mais avant, je veux dire à Didier que je suis très heureuse de connaître le compagnon de ma sœur. Je suis vraiment contente qu’elle vous ait trouvé et qu’ensemble vous viviez heureux à votre manière.
Pour revenir à notre histoire, il faut dire que notre père nous amenait souvent avec lui. C’est comme ça que nous avons appris la forêt et tous ses arbres. Il y en avait de toutes sortes, des petits, des immenses, de toutes les espèces.
Mais lorsqu’on arrivait sur la forêt, il y avait un solitaire qui vivait en bordure. Il était unique, à nul autre endroit il n’y avait d’autres arbres comme lui. C’était un bouleau blanc. Et chaque année, il grandissait et devenait de plus en plus beau. Moi aussi, je grandissais et l’aimais de plus en plus.
Lorsque notre père fut choisi pour aller ailleurs, je ne pouvais pas me résoudre à quitter cet arbre qui était devenu mon arbre.
Je l’ai expliqué à papa et il a compris que ce n’était pas possible que j’aille avec eux et que je quitte le bouleau blanc.
Nos parents m’ont confiée à une famille amie et mes nouveaux parents ont dû m’adopter. C’est comme ça que mon nom est devenu Chelvert-Devague.
Et tout le temps que je suis restée avec eux, je n’avais qu’une seule idée en tête : recueillir les graines du bouleau pour les planter un jour ailleurs pour que mon arbre ait de nombreux rejetons.
Alors dès que j’avais un moment de liberté, j’allais ramasser les graines que je trouvais et les mettais tout de suite au congélateur.
 À moi Vamka, dit Jeanne.
Chaque année pour mon anniversaire Vamka m’envoyait une photo d’elle.
S’adressant à sa sœur, Jeanne lui dit :
 Donne l’enveloppe que je montre à Didier.
C’était une grande enveloppe de carton et Didier l’ouvrit et en retira un gros paquet de photographies.
 Elles sont classées dans l’ordre depuis le début, dit Jeanne.
Didier put voir la sœur de Jeanne qui grandissait d’une photo à la suivante. Il y avait toujours cette grande chevelure rousse. C’était pour Didier un véritable sujet d’émerveillement : Jeanne aux cheveux bruns très droits et l’immense chevelure frisée et rousse de sa sœur.
À chaque photo, il levait les yeux pour bien se persuader qu’il avait l’original devant lui.
Puis la suite s’était arrêtée et maintenant, c’était la photographie d’un bouleau blanc. Didier comprit immédiatement que c’était le fameux bouleau qui revenait ainsi chaque année.
Les deux femmes ne disaient rien et le regardaient faire. Toutes les deux pensaient la même chose : va-t-il comprendre ?
Il avait fini la série de l’arbre blanc et il retourna la dernière, au dos de la photographie il y avait marqué : j’arrive.
Didier rompit le silence :
 Je pense que j’ai plus ou moins compris le pourquoi et le comment des photographies mais ce serait mieux qu’une de vous deux, vous m’expliquiez.
C’est Jeanne qui parla :
 Chaque année que je recevais une photo, en retour je donnais un peu de mes nouvelles. Et quand j’ai commencé à lui dire que je cherchais... que je te cherchais, elle a cessé de m’envoyer des photos d’elle et les a remplacées par la photo du bouleau dont elle était tombée amoureuse.
 Oui, reprit Vamka. Ça ressemblait à un amour humain. Mais en vérité, je lui avais juré que je passerai ma vie à lui procurer la plus grande descendance possible.
Il faut comprendre que je ne parlais pas à l’arbre mais à moi-même. Je me suis engagée à planter le plus possible de graines du bouleau blanc.
Et aussi, j’attendais que Jeanne se décide à faire quelque chose. C’est pour ça que j’ai remplacé les photos de moi par celles de l’arbre.
Jeanne intervient :
 Et quand je lui ai dit que j’avais trouvé un homme et que c’était le bon, elle m’a envoyé la dernière photo en me disant qu’elle arrivait.
Mais pendant plusieurs années, je n’ai plus eu de nouvelles. Je ne savais même pas où elle était.
C’est pour cette raison que je ne t’ai rien dit.
Vamka reprit la parole :
 Jeanne, tu comprends bien que je savais où tu étais posée. Moi, il me fallait arriver avec mes graines congelées, trouver un coin où les planter.
Et tout s’est très bien passé mais ça a pris du temps.
Maintenant, je suis arrivée au bout des promesses que je m’étais faites pour le bouleau blanc.
J’ai planté une quantité énorme de graines, elles ont toutes pris racines et en plus, je vais vendre des milliers et des milliers de bouleaux au consul.
Je suis avec toi pour longtemps. Nous allons avoir devant nous une longue période où nous ne serons plus séparées.
Didier vous savez à quoi je pense à l’instant ?
Jeanne a trouvé en vous son autre moi parfait.
Elle plante des fleurs pour rêver et vous écrivez des histoires pour rêver aussi.

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