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43 - Les Trois Bouleaux

vendredi 7 février 2020, par Albert

Chaque fois que je vais acheter mon pain à la boulangerie romaine, j’essaye de passer par un chemin différent. Tantôt je tourne à gauche, puis à droite, enfin, je change de rue très souvent.
Mais quelques fois, j’aime bien que mon trajet me permette d’admirer les arbres aux grands feuillages.
Pour y arriver, il me faut passer sous la maison qui fait le pont sur la chaussée.
C’est au coin d’une rue, il y a l’espace d’une petite cour où ont été planté trois bouleaux. Il doit y avoir un long moment qu’ils sont là car, maintenant, ils dépassent l’immeuble de beaucoup.
C’est une maison de trois étages sur le rez-de-chaussée et le feuillage des arbres s’étale sur deux ou trois mètres au-dessus des toits de la maison.
Ces arbres sont tellement en bonne santé que les branches et leurs feuilles débordent dans la rue sur toute leur hauteur.
Alors, quand je les aperçois, puis que je passe devant eux, c’est un petit moment de bonheur qui m’est accordé. Je ne vais pas vous faire croire que les arbres me parlent ou bien, à la limite, que je leur cause mais c’est vraiment quelque chose à quoi je pense quand je me trouve en-face d’eux.
C’est un moment particulier et même si je ne m’arrête pas, au moins je ralentis ma marche pour savourer tout le bien qu’ils me font de les voir, là, devant moi.
Leurs feuilles qui viennent dans la rue, la blancheur de leur tronc qu’on devine à travers le feuillage et la hauteur à laquelle ils sont arrivés, tout m’impressionne et me transporte dans un lieu hors de la ville, un endroit où je me sens bien et très heureux.

Depuis quelques jours, le froid est venu et c’est avec un peu de tristesse que je suis passé devant les bouleaux qui avaient laissé le vent d’hiver emporter toutes leurs feuilles. Il n’y en avait plus une seule. Leurs branches retombaient légères sans aucun habillage.
Je pouvais admirer le blanc si beau de leur écorce. Je ne sais si c’est la rareté de ces arbres mais j’avoue que cette couleur blanche est quelque chose qui m’interpelle. Elle me dit des choses que je ne comprends pas très bien mais avec lesquelles je suis entièrement d’accord.
Il y a derrière cette écorce blanche une existence particulière qui me charme.
Et c’est alors que j’ai aperçu les cordes auxquelles les arbres étaient attachés. Quand j’ai vu ça, j’étais stupéfait. Ces arbres magnifiques, si impressionnants, étaient tenus en laisse comme des chiens qu’on aurait voulu retenir à la maison.
C’était quelque chose de presque incroyable mais c’était la réalité et j’en fus très choqué. À tel point, que je me suis franchement arrêté devant eux pour me faire à cette attitude qui me semblait saugrenue.
Comment peut-on en arriver là ?
Quelle extrémité a poussé les gens qui habitent cet immeuble, à faire une chose pareille ?
Au bout d’un moment d’observation, j’étais d’accord avec moi-même : cela ne te regarde pas, ce ne sont pas tes arbres et l’immeuble, non plus. Donc, passe ton chemin bonhomme.
Et comme ça, incrédule, je suis revenu devant ces trois bouleaux plusieurs jours de suite. Et chaque fois, pour le même spectacle, la même désolation.

Une fois, alors que je m’étais encore arrêté devant les 3 bouleaux en laisse, un homme d’apparence respectable, assez âgé, vint se poster à mon côté sans que je l’aie vu arriver tant j’étais absorbé par mes réflexions.
 Ils sont beaux ces arbres.
Voyez, j’habite là, juste en face.
J’ai vu de ma fenêtre que vous vous êtes arrêté plusieurs fois pour les admirer. Certainement, ce sont de très beaux spécimens.
 Mais, les cordes, vous les avez vues ?
 Oui, bien sûr que je les ai vues. En cette période, je les vois tous les jours.
 Et alors, vous trouvez ça normal qu’on plante des arbres dans cette cour minuscule où ils ont à peine la place pour pousser, pour grandir et qu’en plus on les tienne en laisse.
À ce moment, une voisine qui dit qu’elle habite au bout de la rue et qui passait, a entendu le mot laisse. Elle s’exclame sans qu’on lui ait demandé quoi et qu’est-ce :
 J’avais jamais vu qu’ils étaient attachés.
Mais, c’est pas possible !
On ne peut pas faire des choses pareilles !
C’est pas vrai ça !
Et comme, apparemment, elle ne savait plus que dire, elle s’en va, sans autre forme de politesse.
Le vieux monsieur d’en face reprend la parole :
 Mais ils sont vraiment superbes. Évidemment, je suis un peu passionné, je suis un mauvais témoin.
J’étais là quand on les a plantés et puis, année après année, j’ai pu les voir grandir en taille et en beauté. Je passe mon temps à lire, tout près de ma fenêtre et dès que je lève les yeux de mon livre, je les vois, j’admire leur feuillage et les regarde vivre avec passion.
 Mais les cordes, comment vous comprenez ça ?
 Je ne les vois qu’en hiver comme maintenant. Tout le reste de l’année, je ne les aperçois qu’à peine.
 C’est assez insensé d’attacher des arbres, vous ne croyez pas ?

 Non, ce n’est pas ce que vous pensez. Ces arbres ont dû être attachés comme vous dites, d’abord pour qu’ils poussent droit vers le ciel et ensuite, lorsqu’ils furent assez grands, pour que le vent ne les pousse contre les murs de la maison. En quelque sorte, c’est pour leur bien.
 Oui, peut-être, je l’admets puisque vous le dites mais avouez que le spectacle de ces trois arbres attachés aux murs par des cordes est, à première vue, assez déplaisant.
 Oui, certes, mais les gens qui passent n’y prêtent pas attention. Ils vaquent à leurs affaires, aperçoivent les feuilles qui débordent généreusement dans la rue et puis ils sont déjà passés.
Je suis presque certain que la moitié de ceux-là ne voient même pas que ce sont des bouleaux.
 Je ne dois pas faire partie des gens pressés car j’ai toujours su que ces arbres étaient des bouleaux blancs.
 En réalité, on les appelle des bouleaux verruqueux mais ce n’est qu’un petit point de détail. Puisque vous avez l’air de les aimer, vous aussi, si vous voulez savoir pourquoi ces bouleaux ont été plantés au milieu de cette petite cour, en pleine ville, je vous raconterais leur histoire.
Il y a quelques années de cela, le consul a envisagé la situation de l’air que nous respirons en ville. Les études et les rapports avec leurs chiffres l’effrayèrent. Il sentait venir une catastrophe. Et il eut une idée.
Aussi, il demanda à un de ses cousins de faire chez lui, en ville, une plantation expérimentale. C’est devant la maison du cousin et devant cette plantation que nous nous trouvons actuellement
Le but de cet essai était bien sûr de voir si cette variété d’arbre, le bouleau verruqueux, pouvait vivre et se développer en ville. Je crois que nous pouvons dire que l’expérience est concluante.
Qu’en pensez-vous ?

 Je suis bien d’accord avec vous. Ces arbres sont plus grands que les immeubles et ils les dépassent largement et, dans la saison, ils portent, sur toute leur hauteur, un feuillage très abondant et magnifique.
 Eh bien, c’était exactement ce que cherchait le consul : des arbres qui puissent vivre en ville, plus grands que les immeubles et couverts de feuilles pendant la belle saison.
 Et, pour en faire quoi ?
 Pour remplacer les voitures qui stationnent dans les rues, tout simplement.
Dès que le printemps va arriver, les voitures seront indésirables en ville et à leur place le consul fera planter des bouleaux verruqueux comme ceux que nous avons devant nous.
 Vous croyez que les gens vont accepter cette décision ?
 Dans leur tête, ils sont déjà d’accord. Il suffit que quelqu’un d’officiel les pousse un peu à la manœuvre.
Et la ville va redevenir vivable. Les arbres vont nous tenir à nouveau compagnie, leurs feuilles feront baisser la température de l’été et nous donneront de l’air pur à respirer. Les oiseaux reviendront dans leurs branches et qui sait si un jour prochain nous ne verrons pas un écureuil parmi les arbres, sauter de branche en branche.

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